mercredi 15 janvier 2014

Fée d'hiver

 
Une heure avant l’exécution https://www.facebook.com/LePalaisDesCapricesOuLaSoupeDeMots
Image numérique


*Fée d'hiver, folle ou coupable ?


Le soleil orange étirait les ombres jusqu'à l'infini, dissolvant nos silhouettes dans le crépuscule. Il nous laissait ivre de liberté et d'interrogations. Notre identité devenait aléatoire, à l'instar de notre contour. Nous perdions peu à peu les quelques attaches qui nous reliaient encore à la société.

La poussière voltigeait dans l'espace, donnant encore plus d'irréalité au paysage, comme dans un très vieux film en Technicolor au grain épais, saturé de couleurs. Nous, nous étions déjà en dehors des apparences, mais sans le savoir, car nous étions pareils à ces poussières : insignifiants, éphémères, perdus dans l'indescriptible. Nous avions déjà franchi la frontière entre le réel et l'imaginaire.

Nous n'étions alors que deux êtres solitaires, perdus dans l'immensité de la steppe. Nous n'étions que deux enfants innocents, incapables du pire.
Le soleil a poursuivi sa course, enjambant les saisons, nous entraînant dans sa ronde. Puis vint l'âge de la nuit et son cortège funèbre d'angoisses.

Les troubles étaient à venir, inscrits dans notre destin et jusque sur les lignes de nos mains.

En cette nuit sans lune, où même nos ombres étaient invisibles, il nous restait pour nous distraire, le jeu du hasard. Nous sortîmes les lames et le pire fut là, chevauchant l'imprévisible.
Superbes et arrogants nous avons poussé les limites du jeu un peu plus loin, chaque fois, jusqu'à rencontrer l'inéluctable. Le risque aiguisait nos désirs, alimentait notre urgence à vivre : nous étions ivres des possibles entrevus, grisés par les extrêmes dévoilant leurs territoires fantasmagoriques. La réalité nous paraissait bien étroite, l'emprise du danger nous tenaillait, fouillait notre cœur jusqu'au délire. Notre exaltation allait croissante et demandait d'avantage de péril pour être à son comble. Elle brûlait nos réserves, consumait notre conscience. Notre clairvoyance devenait hallucinatoire, instinctive, folle d'une agressivité redoublée. Oh, t'en souviens tu, mon ami de cette ivresse qui nous saisis, t'en souviens tu de cet indéniable euphorie qui nous embarquât corps et âme lorsque, atteignant les sommets du plaisir nous décidâmes de nous saborder, de plonger dans infini du néant, d'un trait de sabre ?

La béatitude absolue de cet instant résonne encore dans ma mémoire. Mon corps tremble. Et du plus noir, et du plus profond de ma cellule, je hurle ton nom. Je voudrais que tu sois mien, encore une fois. Je voudrais que du noir, où tu erres sans fin, tu reviennes un instant. Je voudrais être hier et rebrousser chemin .

Mais ce soir, comme chaque soir, les ombres oranges du soleil déforment ma silhouette. Il ne reste de moi que cette couleur impalpable sur le fond des dunes, il ne reste que la caresse sauvage du désert sur mon esprit. Et de toi, il ne reste que ce soleil éclatant. Oh! toi mon ami, t'en souviens tu, alors que le jour décline, t'en souviens tu de notre ardeur ?

Je hurle ton nom comme une bête au abois, je hurle de déraison. J'écris ton histoire qui se mêle à la mienne, je l'écris à l'encre de sang bleu, à l'encre du sang noir, dans la sueur et la cendre de ma cellule. Et dans la lumière du couchant, prisonnière de la camisole et du secret qui m’étreignent, je sais toutes les implications de ces aveux.

Déjà l'ombre de la justice fond sur moi, déjà les juges me précipitent vers le prétoire, déjà la foule hurle à la mort comme une meute à qui l'on donne en pâture une coupable.
Le mystère va enfin être élucidé : après trente ans de silence, la confession ultime sera sans recours, sans appel. Je serai coupable, coupable d'être de ce côté de la vie alors que tu es parti.
À l'aube, je serai exécutée, ma tête tombera dans le panier. J'attendrai mon heure avec le certitude douce de nos retrouvailles.

Ne t'y trompes pas mon ami, cet hallali misérable ne sera que de courte durée et je sais qu'au bout de la course, après ces rumeurs, ces tumultes, ces hargnes, le soleil étirera nos deux ombres violettes… à l'infini.




*Fait divers : une femme est interpellée alors qu'elle vocifère, délire, hurle à la mort devant une prison. Elle trépigne, elle donne des coups de pieds dans la porte, elle supplie qu'on lui rende son amant. "Fée d'hiver" est la suite imaginaire de ce fait divers.



Anélias.B

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire